Le
paysage perdu dans l'homme
Mon
travail part du paysage, le paysage entendu comme ce qui se déploie
tout en fixation, autant que tout territoire entend ses limites et
les multiples moyens de les traverser.
Quittant
l'Europe pour le Mexique je me souviens avoir presque manqué d'air
devant l'impuissance de l'homme à façonner la nature dans tant
d'immensité. Le paysage s'y fait rare, les lointains sont fermés,
l'horizon souvent inaccessible. La nature semble n'avoir jamais cédé
devant le paysage, comme un adulte qui ne se serait jamais plié aux
lois de son âge et resterait sourd à toute bienséance; la nature,
cette petite folle, s'enroule, s'envole, se courbe, se défait, se
propage à la vitesse des orages d'été. Elle annule toute tentative
d'agrément, indomptable bien que prévisible: l'homme échoue à
façonner la terre, si tant est qu'il eut formé un vœu si européen.
En tant
que peintre, je ne peux pas parler du paysage sans parler de sa
réalité géographique, géologique, car ce sont ces visions là qui
construisent en retour mes images. De ce fait, il semble qu'il n'y ait que des paysages mentaux.
Le
paysage c'est la preuve toujours renouvelée du lent travail de
l'homme, de l'antique travail des champs et des bêtes, de sa
ténacité et de son orgueil.
D'une
façon purement picturale, le paysage permet l'espace, le déploiement
des plans et l'installation des figures. Mais il est aussi le lieu de
l'indiscernabilité, de l'expérience matérielle de la peinture :
toujours le paysage coule, sombre, s'agite, colle, s'ouvre, dégueule;
On y retrouve tous les formalismes picturaux possibles comme
fermentés dans un creuset de boue.
Les
figures sont là souvent prises dans une activité absurde, comme si
la ténacité de leurs frères à transformer la terre n'était pas
suffisante sans leur propre ténacité à ériger des maisons de
bois, des châteaux sans porte dessinés par des architectes-enfants
et des escaliers qui ne mènent nulle part hors d'un envol sans
envergure.
L'homme
imprime sa verticalité à l'horizon dans une geste tant grotesque
que sublime.
Malgré la simplicité à première vue de mes images, on se rend
vite à l'évidence de la présence d'une sourde menace. La présence
de ce qui n'est pas figuré dans l'image, et qui rend le rapport au
hors champ terrible.
Ces
êtres peints comme des chiffons rigides (comme ils étaient perçus
par les Dieux Grecs) deviennent alors des être vulnérables et
pleins de courage (comme ils étaient perçus par Prométhée) :
tout rapport est un rapport incomplet d'où découle l'inquiétude,
seul ce qui ne se voit pas, c'est à dire le hors champ, peut venir
compléter ou nier définitivement tout rapport.
Ainsi
mon travail est une tentative de rendre sensible tout cela, en créant
une image que l'on pourrait rapprocher de ce que Deleuze appelle
« l'image-temps ». Une image persistante par sa trouble
inutilité dramatique, sa légère distanciation et son abîme
d'affects.